Mars 1898




N° 119


Séance du 8 Mars1898



Les Amiraux ont créé, à la date du 31 Août 1897, une Commission militaire internationale de police, dont la compétence était limitée au cercle de La Canée (voir PV du 14 Août N° 90, 20 Août N° 91 et ordonnance du 31 Août 1897).

Déjà, le 16 Décembre 1897, ils ont été amenés à faire juger, par la même Commission, un Grec de l’Akrotiri, coupable d'assassinat, quoique le crime ait eu lieu en dehors du cercle occupé par les troupes (PV N° 107).

Considérant, aujourd'hui, qu’il serait très compliqué de créer des tribunaux semblables sur tous les points occupés comme ils s'étaient réservés de le faire (ordonnance du 31 Août 1897), et attendu que les résultats obtenus par la Commission de La Canée ont été très appréciés, les Amiraux décident :

Que la Commission militaire internationale étendra sa juridiction sur tous les points de l’île, dans les conditions où elle fonctionne déjà pour le cercle de La Canée.

En particulier, la Commission aura à juger :

1° Les nommés : Magdalena Azaghis, Panayoli Azaghis Nicoli, Micali Patirotry et Gian Maguglianos, accusés de voies de fait pour vol et de blessures sur deux officiers de la Marine italienne, à San Nicolo.

2° Le nommé Emmanuele N. Vasilakis accusé d'assassinat et qui a été livré aux troupes internationales par ses coreligionnaires à Hierapetra.

À bord du « Sardegna » à La Sude, le 8 Mars1898

Le Commandant allemand signé : Wahrendorff
Le Commandant Supérieur de la Grande-Bretagne signé : A. Bromley
Pour Le Contre-Amiral russe signé :
D. de IselKersahm
Le Contre-Amiral français signé : Ed. Pottier
Le Contre-Amiral austro-hongrois signé : Hinke
Le Vice-Amiral italien signé : N. Canevaro




N° 120


Séance du 10 Mars1898



Les Amiraux ont été saisis, par l'intermédiaire de l'Amiral français, de la question suivante :

Au début de l'insurrection, la province de Sitia a été l'une des plus troublées, mais, aussitôt l'occupation de la ville par les troupes internationales, les chefs chrétiens ont fait des efforts pour amener le calme et, il faut le reconnaître, ces efforts ont été couronnés de succès.

Ces chefs ont établi une sorte de police, qu'ils ont payée avec des ressources obtenues en prélevant, sur les produits exportés par les Chrétiens, un droit arbitraire, fraction de celui qui revenait régulièrement au Gouvernement ottoman et que ce dernier était dans l'impossibilité de faire percevoir par ses moyens.

Aujourd’hui, grâce, justement au rétablissement de l'ordre, les droits réguliers peuvent être perçus par la douane ottomane, mais le Comité crétois a épuisé ses ressources et voudrait maintenir sa police.

Dans ce but, il demande que la caisse consulaire lui avance, à titre de remboursement, les sommes nécessaires pour la payer.

Les Amiraux, tout en reconnaissant les services réels rendus par cette police, ne croient pas possible de demander aux Ambassadeurs qu'on prélève une somme quelconque, rentrée dans la caisse des Consuls, pour la donner, même à titre de prêt, à une milice qui ne peut avoir aucun caractère officiel, tant que le Gouvernement de l'île sera ottoman.

Les Amiraux espèrent, néanmoins, que les chefs de la Province poursuivront leur œuvre et maintiendront le bon esprit qui paraît animer la population chrétienne de la province de Sitia.

À bord du « Wien », La Sude, le 10 Mars 1898

Le Commandant allemand signé : Wahrendorff
Le Commandant Supérieur de la Grande-Bretagne signé : A. Bromley
Le Contre-Amiral russe signé : N. Skrydloff
Le Contre-Amiral français signé : Ed. Pottier
Le Contre-Amiral austro-hongrois signé : Hinke
Le Vice-Amiral italien signé : N. Canevaro




N° 121


Séance du 19 Mars 1898



Le Commandant du cuirassé allemand « Oldenburg » a reçu l'ordre, le 13 Mars, de quitter la Crète, et de reprendre le personnel qu'il avait mis à terre, à La Canée, le 5 Janvier. Il en a immédiatement informé les Amiraux.

Le 17 Mars, « l’Oldenburg » s'est rendu à La Canée, le pavillon allemand a été rentré avec les honneurs habituels, en présence de détachements des cinq autres nations et « l’Oldenburg » a fait route à l'Ouest.

Le Vice-Amiral italien fait connaître à ses collègues que le nombre des affaires traitées par la Commission militaire de police internationale est devenu considérable.

Les deux officiers auxquels incombe le plus de travail, c'est-à-dire l'oOfficier italien, greffier, et le Capitaine français, rapporteur, ne peuvent plus suffire à leur tâche, et il serait urgent de leur adjoindre à chacun un autre officier.

Dans ces conditions, étant donné que l'instruction se fait en français, les Amiraux prient l'Amiral français de faire la demande, à son Gouvernement, d'un lieutenant qui serait adjoint au Capitaine Berger.

De son côté, l'Amiral Canevaro demandera un officier italien comme second secrétaire de cette Commission.

Les Amiraux ont reçu du Gouverneur Général une lettre dans laquelle Son Éminence Ismaïl Bey demande le renvoi à Rethymno de 12 Musulmans exilés depuis huit mois à Salonique à la suite d'une émeute dont ils étaient les meneurs.

L'Amiral russe, qui rentre de Rethymno, rapporte justement l’avis du Colonel qui commande cette place : cet officier supérieur lui a déclaré qu'il serait dangereux de faire rentrer ces individus et qu’il ne saurait prendre la responsabilité des événements que pourrait faire naître leur retour à Rethymno.

C'est du reste sur la prière de leurs coreligionnaires qu'ils ont été éloignés.

Devant un avis aussi nettement exprimé, les Amiraux décident qu’il n'y a pas lieu de les faire rentrer en Crète.

Dans leur séance du 19 Mai, les Amiraux en prévision du retour des Crétois réfugiés en Grèce, avaient décidé, pour ne pas augmenter la misère dans l’île, que les gens qui voudraient rentrer, devraient, au préalable, prévenir de leurs intentions les autorités crétoises.

Il est logique, en effet, de ne pas laisser pénétrer dans l'île des individus qui ne trouveraient ni le moyen de se loger ni celui de se procurer du travail.

Or, les mêmes raisons qui ont déterminé les Amiraux à empêcher le retour des Chrétiens dénués de ressources doivent empêcher aussi qu'on ne laisse arriver dans l’île des Musulmans sans moyens d'existence et principalement les Benghazites qui encombrent déjà le village de Coum-Capou.

Immigrés de Ben Ghazi aux portes de La Canée

Campement de Benghazites aux environs de La Canée


En conséquence, Messieurs les Commandants militaires seront invités à ne laisser débarquer que des gens manifestement pacifiques et pouvant faire preuve de moyens d’existence.

Les Commandants militaires feront part de cette décision aux autorités turques des villes occupées.

À bord du « Alexandre II », à La Sude, le 19 Mars 1898

Le Commandant Supérieur d’Autriche-Hongrie signé : G. Cimiotti
Le Commandant Supérieur de la Grande-Bretagne signé : A. Bromley
Le Contre-Amiral russe signé : N. Skrydloff
Le Contre-Amiral français signé : Ed. Pottier
Le Vice-Amiral italien signé : N. Canevaro




N° 122


Séance du 24 Mars 1898



Les Amiraux ont reçu, par l'intermédiaire du Commandant anglais, le procès-verbal de Monsieur le Médecin Major Baylor, appelé à constater les mutilations dont les Chrétiens des environs de Candie se sont rendus coupables, sur les cadavres de trois Musulmans, assassinés par eux, le 19 Mars dernier.

Le Vice-Amiral Canevaro écrira, au nom de ses collègues, au Président Sphakianakis, de l'Assemblée crétoise, pour lui exprimer toute l'horreur qu'inspire aux Amiraux cet acte, indigne de Chrétiens, et le prier d'user de toute son influence pour empêcher le retour de pareilles monstruosités.

En prévision des difficultés qui pourraient surgir de l'application, par la Commission militaire internationale de police, du code d'une seule nation, et, considérant que le tribunal peut avoir à interroger des sujets de six ou sept nationalités, les Amiraux décident, aujourd’hui, que dans toutes les affaires que la Commission internationale aura à juger, la citation des témoins se fera d’après les règles suivantes :

1° Les citations tendant à faire comparaître par devant la Commission judiciaire internationale un fonctionnaire d'un Consulat devront lui être signifiées par l'entremise du Consul dont relève ce fonctionnaire.

2° Les citations à comparaître destinées à un sujet étranger pourront, pour éviter toute perte de temps dans le fonctionnement de la justice, lui être signifiées directement par la Commission judiciaire internationale, mais avis en sera donné au Consulat dont relève le comparant.

Les Amiraux ont été saisis d'une demande formulée par un certain nombre de négociants de Candie, qui voudraient être exemptés de payer les droits d'importation :

1° Pour le soufre destiné à la sulfuration des vignes ;

2° Pour une certaine quantité d'orge importée en vue de secourir les malheureux.

Après avoir consulté le Corps consulaire, les Amiraux ont estimé, comme Messieurs les Consuls, que la mesure à prendre pour éviter la perte des vignobles doit être étendue à tous les points de l’île et profiter également aux Musulmans et aux Chrétiens ; ils pensent, en outre, que l'exemption des droits de douane pour les produits alimentaires importés ne doit s'appliquer qu'aux denrées qui seront distribuées gratuitement.

En conséquence, ils adoptent la règle suivante proposée par Messieurs les Consuls :

1° Est exemptée des droits d'importation, de surtaxe, ou de tout autre droit, le soufre en fleur qui sera importé en Crète dans les 40 jours qui suivront la proclamation de la présente ordonnance.

2° Les Commandants Supérieurs internationaux fixeront, dans leur propre district, et après entente avec les principaux négociants importateurs, le prix auquel le soufre sera vendu aux habitants.

3° Les négociants importateurs devront remettre aux Commandants Supérieurs internationaux une déclaration constatant la quantité de soufre importée par eux. L'entrée en franchise ne sera accordée que sur le vu du visa qui sera apposé sur cette déclaration par les Commandants Supérieurs.

4° Sont également dispensés du paiement des droits d'importation, de surtaxe ou de tous autres droits, les marchandises telles que blé, farine, produits alimentaires, qui doivent être distribués gratuitement aux indigents du pays.

5° Cette exemption ne peut s’appliquer à celles de ces mêmes marchandises qui doivent faire l'objet d'une opération commerciale quelconque.

6° La franchise de droits sera accordée qu'après dépôt, entre les mains des Commandants internationaux, de la déclaration prévue par l'article 3 de la présente ordonnance et de l’apposition du visa y requis.

À bord du « Camperdown », à La Sude, le 24 Mars 1898

Le Commandant Supérieur de la Grande-Bretagne signé : R.W. Graigie
Le Contre-Amiral russe signé : N. Skrydloff
Le Contre-Amiral français signé : Ed. Pottier
Le Contre-Amiral austro-hongrois signé : Hinke
Le Vice-Amiral italien signé : N. Canevaro




N° 123


Séance du 28 Mars 1898



Le Président de l'Assemblée crétoise, à la suite de la lettre qui lui a été écrite le 24 par l'Amiral Canevaro, a répondu que toute la population chrétienne est aussi indignée que les Amiraux eux-mêmes, des atrocités commises aux environs de Candie, mais qu’on ne saurait rendre responsables tous les Chrétiens de crimes qui sont l'œuvre de quelques scélérats.

Monsieur Sphakianakis sera invité au nom des Amiraux à faire savoir à ses coreligionnaires, avec toute la publicité possible, qu'il y aurait le plus grand intérêt à rechercher les coupables, et à les livrer à la justice internationale, pour bien démontrer la désapprobation dont ils sont l'objet de la part des leurs.

En même temps, on écrira au Gouverneur Général de la Crète, pour lui faire savoir que les Amiraux font tous leurs efforts pour trouver et punir les coupables.

L'Amiral austro-hongrois informe ses collègues qu’il a reçu, de son Gouvernement, l'ordre d'amener son pavillon et de faire rentrer ses troupes dans la première quinzaine d’Avril. L'Amiral Hinke annonce que, à compter du jour où son pavillon sera amené, il ne prendra plus part au Conseil des Amiraux, et les bâtiments qu’il pourra laisser en Crète auront pour unique rôle la protection des sujets austro-hongrois et allemands.

En conséquence, les Amiraux décident qu'à partir du départ du Colonel austro-hongrois, le cercle de La Sude (comprenant La Sude, Izzedin et l'îlot de La Sude), placé jusqu'à ce jour sous son autorité, dépendra du cercle de La Canée, et rentrera sous le commandement du Capitaine de Vaisseau italien Amoretti.

Des détachements des troupes des quatre Puissances restantes prendront possession de la caserne de La Sude et du fort d’Izzedin, actuellement occupés par les troupes austro-hongroises.

Un tour de roulement sera établi par les soins du Commandant Amoretti, pour que la garnison d’Izzedin soit changée mensuellement.

À bord du « Sardegna », à La Sude, le 28 Mars 1898

Le Commandant Supérieur de la Grande-Bretagne signé : R.W. Graigie
Le Contre-Amiral russe signé : N. Skrydloff
Le Contre-Amiral français signé : Ed. Pottier
Le Contre-Amiral austro-hongrois signé : Hinke
Le Vice-Amiral italien signé : N. Canevaro

Crète - Occupation Internationale